Etude de ce qui constitue chaque nation et des conséquences qui en découlent
Front Populaire
propos recueillis par Théo Debavelaere - 21 avril 2025
Henri Temple : « L'analyse nationiste conforte et structure le souverainisme »
ENTRETIEN. Contributeur régulier au site de Front Populaire, Henri Temple publie un Essai sur le concept de Nationisme (éd. Sphairôs). L'occasion de faire le point sur un concept méconnu.
F.P.-Vous avez consacré un ouvrage récent au concept de « nationisme ». On entend souvent parler de nationalisme ou de patriotisme, mais très peu, voire jamais de nationisme. Qu'entendez-vous par là et en quoi cette notion diffère-t-elle des deux précédentes ?
H.T. : Le nationisme se veut "science des nations", valable pour toutes les nations du monde (je dis bien "nations" et pas "États"). C’est une science fondée d’abord sur l’observation du réel : géographique, linguistique, culturel (ce qui inclut la religion), historique. De cette observation première découlent des conséquences en série : psycho-sociologiques, sociales, économiques, philosophiques, juridiques, politiques ; chaque conséquence découle de celle qui précède, puis sert de cause à la conséquence suivante. C’est cette cohérence des relations de causes à effets qui donne sa force à l’approche nationiste : le réalisme, l’affect et le consensus. Or affect et consensus, ces piliers de la nation – et d’une société harmonieuse – se délitent en France et par toute l’Europe.
Le nationalisme n’est pas illégitime s’il n’est pas agressif contre les voisins ou, pire, s’il nie son identité collective et son droit à la liberté ; toutefois le nationalisme n’est pas une science mais une doctrine politique, propre à chaque pays. Quant au patriotisme c’est un sentiment d’amour pour son pays, sa culture : il est autocentré et peut aller jusqu’au dévouement voire au sacrifice. Les hymnes et poèmes nationaux ont, de tous temps, eu recours au vocabulaire familial : père, mère (et étrangement ‘mère-patrie !), enfants, aïeux…
Depuis ces intuitions millénaires de ce qui fait la cohérence affective des peuples ou nations, les chercheurs n’ont cessé de faire des progrès pour la compréhension de l’inconnue sociologique des nations. Notre travail retrace le cheminement de ces progrès, jusqu’aux travaux de Max Weber, sur la « purification du réel » pour parvenir à ce qu’il appelle un idéal-type d’être humain social. Un être qui est le fondement des nations et de leurs différenciations ; ce qui fait, selon le mot de Benda, que le « semblable s’unit au semblable et se sépare du dissemblable ». Mais désormais les neuro-sciences sociales du XXIe siècle ouvrent des perspectives extraordinaires pour comprendre l’imprégnation natio-culturelle du cerveau de l’être humain social. Désormais plus personne ne peut prétendre ignorer ces causes du bonheur ou de la souffrance collective, dans une société donnée.
F.P.-Au milieu des années 1990, Pierre-André Taguieff avait déjà forgé le terme de « nationisme » pour qualifier le nationalisme républicain et le distinguer clairement du nationalisme d’exclusion. Cette définition vous paraît-elle pertinente ?
H.T. Oui elle est très pertinente : aimer n’est pas haïr, et se défendre n’est pas assaillir, envahir.
J’ai dédié ma recherche à Taguieff (avec qui nous avions déjà fait une publication collective aux Presses de la Sorbonne) et à Emmanuel Todd. Taguieff a proposé à la politologie française le terme conceptuel de nationisme, emprunté à l’Américain Fishman (1968). Et Todd en a entrepris une brève et profonde esquisse.
Il m’a paru indispensable de prolonger ces premiers jalons de recherche, et d’approfondir l’idée nationiste en ce début de XXIe siècle, car la vie intellectuelle et politique française est paralysée, depuis 45 ans, par le dogmatisme mondialo-bruxellois, alors que les états d’Europe – et surtout la France – n’ont cessé de se déclasser à tous les plans, culturel, éducationnel, économique, démocratique, géostratégique, industriel, judiciaire, sanitaire, militaire, énergétique, sécuritaire, migratoire. Et le mythe allemand vient de s’effondrer, avec les craintes additionnées pour l’Allemagne de perdre le parapluie nucléaire américain, le gaz russe, les marchés US et chinois…
Nous sommes donc désormais confrontés à un échec mortel : l’instinct de conservation nous commandait de nous ressaisir.
Trump vient de sonner le réveil (avec quelques fausses notes) et le temps est donc particulièrement propice – et même brûlant – pour une réflexion d’ensemble sur la façon démocratique dont s’organisent les peuples et les territoires où ils vivent (y compris en termes d’économie nationale), mais aussi sur la façon nationiste dont les nations devraient se comporter les unes avec les autres, se respecter. Voire en coopérant dans une démarche confédérale, mais sûrement pas en se fusionnant car une addition de nations sera toujours plus démocratique et plus forte qu’une moyenne, un magma fédéraliste à la fois déstructuré mais hyper-centralisé.
F.P.-Comment la souveraineté nationale s'articule-t-elle avec le nationisme ? Peut-on être « nationiste » sans être souverainiste ou inversement ?
H.T. En 1789 la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (reprise par toutes les constitutions françaises et beaucoup d’étrangères) affirme, en son article III :« Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation... » Cela vaut tant pour la souveraineté interne du peuple (la vraie démocratie) que pour la souveraineté externe dans le concert de nations (l’indépendance).
Et donc, en conséquence, l’analyse nationiste conduit nécessairement à ces deux dimensions du souverainisme et le conforte, en le structurant et en lui donnant un socle encore plus solide .
F.P. -Votre ouvrage a-t-il une simple ambition descriptive ou aspirez-vous à proposer une vision pour la France ? En d'autres termes, est-ce un ouvrage à vocation universitaire ou politique ?
H.T. ‘Descriptif’ n’était pas si simple en l’espèce, car si l’on excepte quelques phrases de Renan et le beau livre de Pierre Manent il n’y avait guère, après l’échec à bâtir une Théorie de la Nation par Marcel Mauss (échec reconnu par lui), de véritable étude d’ensemble, cohérente, sur la Nation. Alors que, pourtant, la nation est un droit de homme et le socle de la République, ce que la constitution rappelle.
Or le ‘sujet nation’ est très vaste, subtil, et très complexe. J’ai donc tenté de faire plus qu’une description mais – je le répète car c’est essentiel – j’ai découvert, au fil de ma recherche, la cohérence, l’enchaînement, des sept dimensions des nations dans un ordre immuable et universel des chaînons.
Ce n’est donc pas une ‘simple description’ mais une démonstration, une explication (comme en physique, la croissance cristalline). Et ceci est applicable à toutes les nations du monde. Durant des siècles, et encore à présent, des pays puissants nient l’existence du pays voisin, ce qui cause sans cesse des guerres de plus en plus épouvantables. L’humanité devient inhumaine si elle refuse sa base nationiste.
Mais le nationisme de notre travail n’est qu’une épure et, évidemment :
- comme je suis Français cette épure recourt beaucoup – mais pas seulement – à des illustrations et à une proposition propres à la France,
- par rapport à l’épure, les différentes nations et leurs gouvernements suivent le chemin qui leur est particulier en oubliant trop souvent que la paix, y compris civile et sociale, et la prospérité qui est une condition de la paix, doivent se rapprocher de l’épure autant que faire se peut.
Pour conclure : si l’explication nationiste est juste (sinon qu’on démontre qu’elle est fausse), il faudrait encore expliquer pourquoi on ne devrait pas l’appliquer, que ce soit à la France ou à d’autres pays. Rien dans le galimatias bafouillé dans les lieux de pouvoir à Bruxelles et à Paris ne permet d’espérer une prise de conscience responsable.
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Boulevard Voltaire
propos recueillis par Marc Baudriller - 23 juin 2024
Henri Temple : « LA NATION ET SA GRANDE PUISSANCE ONT BEAUCOUP D’ENNEMIS… »
Face au désastre du mondialisme, l'idée du cadre national revient en force dans les esprits, en Europe mais aussi, plus largement, dans tout l'Occident. Mais au-delà de l'attachement naturel à sa patrie et sa nation, il faut tenter de percevoir les contours théoriques de ce qu'elle recouvre. « Rousseau, la Déclaration de 1789, Renan, ont tenté d'expliquer l'idée de nation, mais on avait fini par renoncer à en élaborer la théorie », écrit Henri Temple, au dos de son ouvrage. C'est à ce défi, à cette tâche indispensable et passionnante, que s'est livré Henri Temple, essayiste, ex-professeur de droit économique et expert international. Après sa Théorie générale de la nation, il échafaude dans son dernier ouvrage ce qu'il appelle « le nationisme ». « Une voie opposée au mondialisme, au nationalisme, à l'impérialisme, à la mystique de l'État », dit-il. Nous l'avons interrogé pour BV.
Marc Baudriller. La vague patriote au Parlement européen et les sondages favorables au RN pour les élections législatives montrent-ils l'attachement du peuple français à son identité, à sa nation ? Quelle est la nature de cet attachement ?
Henri Temple. Sans contestation possible, le peuple de France, de plus en plus angoissé quant à sa survie en tant que nation cohérente, à sa sécurité physique, à son reste-à-vivre et à sa liberté démocratique, a redécouvert que seule sa nation peut lui apporter les réponses espérées. Et tout spécialement pour les plus fragiles. C'est ce qu'a exprimé, si soudainement, le vote du 9 juin dernier, qui bouillonnait néanmoins depuis longtemps sous le « plafond de verre ».
Cet attachement traduit tant un affect profond qu'un consensus culturel, sociologique et politique essentiel. Cet affect - qu'on croyait à tort assoupi – s'est réveillé au moment, et en raison, de la perception soudaine d'un risque de disparition : c'est l’instinct de conservation, un ressort incoercible.
M. B. Cultures, langues, origines sont désormais éclatées en France… La nation est-elle morte ? Sinon, quelle est la place de la culture et de la religion dans la nation ?
H. T. La France s'est construite au fil des siècles, un peu à la façon d'un empire, souvent de force et dans la plus grande diversité d'Europe : quatre langues latines, deux germaniques, une celtique, une euskaride ; puis les parlers des îles ensoleillées du grand large français. Mais il existait initialement, en métropole, une continuité territoriale et historique, des valeurs communes et consensuelles, d'abord religieuses, puis philosophiques, sociales et politiques. Cet équilibre est vital et ce serait violer un droit collectif de l'Homme (les plus puissants) que d'empêcher la population de le maintenir.
Au cours de leur histoire, des nations sont mortes, mais pas la France. Pas encore. Notre peuple - et les autres peuples d'Europe - étaient jusqu'alors hypnotisés, anesthésiés ; mais le réveil est puissant et il ne fait que commencer.
On ressasse souvent que la religion chrétienne serait en voie de disparition. Sa forme traditionnelle, parfois surannée et étouffante, a vieilli. Beaucoup en ont oublié le sens profond, caché sous les symboles et les paraboles, les rituels. Mais depuis plus de 1.000 ans, cette religion a irrigué nos sociétés et les a améliorées, élevées, pacifiées, développées. Désormais, « César » (l'État) a repris sa liberté et sa neutralité, et cessé son intrusion. Et de leur côté, les églises en ont fait autant, mais elles nous ont aussi légué ces trésors conceptuels que sont la laïcité, la liberté de conscience, les droits de l'Homme, l'universalisme, l'amour. En filigrane, la spiritualité est toujours là, plus discrète, et peut être, parfois, plus forte, vécue autrement : pour les croyants et même pour les « athées dévots » !
M. B. Pourquoi une théorie du « nationisme », concept nouveau ? N’est-ce pas un attachement charnel qui nous lie à la France ? Pourquoi ne pas faire plutôt référence à la patrie, la terre des pères ?
H. T. Le nationisme se veut un dépassement du patriotisme. D'abord parce que l'amour légitime de sa patrie peut parfois déboucher sur la haine de la patrie de l'autre : le nationalisme, l'impérialisme. Ensuite parce que « l'attachement charnel » progresse au fil des générations ! Les pères de mes pères, en Rouergue, ont fait tous les combats pour défendre leur terre : on connaît les noms des généraux gaulois rutènes qui combattirent les colonisateurs et esclavagistes romains dès -121 av J.-C., puis en -51... Mais les fils de tirailleurs venus d'Afrique peuvent ressentir le même fusionnement, la même fierté, ceux du dévouement à une cause collective. Finkielkraut a dédié de belles lignes à cette émotion qui se révèle à lui, aussi soudaine qu'inattendue : l'amour de la France. Bloch et Weil l'avaient déjà profondément ressenti. Et il saisit peu à peu la plupart des immigrés récents. Malheureusement, beaucoup n'y parviennent pas : cet échec ou cette amertume ont été décrits par des sociologues et des écrivains, dont certains issus de l'immigration. Car changer d'âme n'est pas facile et un tel échec peut provoquer des troubles dissociatifs d'identité (TDI), voire des atteintes cérébrales. L'immigration de masse est la marque, pour ceux qui la facilitent, soit de l'ignorance crasse soit du cynisme irresponsable.
M. B. Qui veut la peau de la nation, et pourquoi ? Quelles sont les menaces qui pèsent sur elle ?
H. T. Le concept de nation et sa grande puissance ont beaucoup d’ennemis, car leurs plans néfastes et agressifs sont contrecarrés par la nation, et par l'État qui en est la représentation. Et parfois, ces ennemis forment entre eux des collusions surprenantes.
L'humanité a d'abord subi les impérialismes ou les nationalismes, qui dénient aux nations les plus faibles le droit d'exister. Parfois en les colonisant, écrasant, asservissant ou même en les génocidant. Ces horreurs furent courantes aux siècles passés, et paroxystiques au XXe siècle. L'islamisme, lui, relève, de par son histoire, de ce même projet : il n'est pas apaisé et sert encore de justifications à des entreprises de khalifats ou de terrorismes. Car l'islam peut se dire « nation d'Allah » et n'aurait donc d'autre légitimité que celle de son but de conquêtes et de soumissions. Plus récemment, le marxisme appliqué, sous couleur d'internationalisme, a étouffé des nations, parfois dans le sang, toujours dans la dictature. Enfin, ce n'est que depuis un demi-siècle, environ, qu'est apparu le nouvel ennemi des nations : l’extrémisme mondialiste ultra-capitaliste et financiariste qui a entrepris de démanteler les frontières (OMC, en complicité avec l'usine à gaz nocifs bruxellois). L'économie échappe alors aux peuples auxquels elle était destinée pour devenir, selon le mot du Nobel Stiglitz, le « triomphe de la cupidité ». Or, ce n'est pas le moindre des paradoxes que ces dérives que sont l’extrémisme capitaliste brutal, le boboïsme niais, le wokisme toxique et l'extrémisme gauchiste attaquent en collusion l'idée de Nation. L'Open Society Foundations du spéculateur financier et agitateur Soros et ses No Borders, Bilderberg, Davos, Golmann-Sachs, accords de Bâle, OMC, le village global, les délocalisations d'usines, de capitaux, de travailleurs... tout cela entend détruire les nations et, donc, de ce fait, l'Humanité humaine.
M. B. En quoi le nationisme s’applique-t-il aussi aux autres nations ?
H. T. Le nationisme a été construit comme une suite de causes en conséquences vertueuses… Sans omettre d'honorer les esquisses sur le sujet par les précurseurs (Taguieff et Todd) ou le beau travail de Pierre Manent, notre Essai sur le concept de nationisme est le premier et seul travail d'ensemble avec un tel angle de vue sur ce sujet. Depuis l'article 3 de la Déclaration de 1789 (« Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation ») et les quelques pages inspirées de Renan, ce sujet primordial avait été oublié en ses multiples dimensions. Trop évident ou trop complexe ?
Oui, non seulement le nationisme s'applique à toutes les nations et, de ce fait, il devrait encore aussi sous-tendre les relations internationales. Les relations « inter-nationales » seront préférables aux internationales. Longtemps, et encore aujourd'hui, le système « westphalien » est le seul que connaissent les diplomaties mécanistes. Certes, le respect des frontières fut, au XVIIe siècle des royaumes européens, un cadre (approximatif) de paix relative. Mais, parfois, pour pouvoir assurer la paix, l'idée de nation doit prévaloir sur celle de frontière. En Europe centrale, des pays accolés de force se sont individualisés pacifiquement à la fin du système communiste. En Ukraine, en Afrique, en Turquie et en Chine, notamment, les frontières emprisonnent et oppriment des nations en devenir ou bien, au contraire, des frontières contestées fournissent des prétextes à invasions.
Stuart Mill, parlant du « sentiment de nationalité », affirmait, génialement : «...le droit des êtres humains à s'associer en nations pour unir tous les membres de la nationalité sous le même gouvernement, car la question du gouvernement devrait être décidée par les gouvernés ». Et un tel droit est bien, désormais, consacré comme droits de l'Homme ; aussi bien le droit pour un individu d'avoir une nation, que, a fortiori, celui, pour une nation, de « décider librement de son développement social et culturel... » (article 1er du Pacte des Nations unies). Qui a oublié ce droit ? Qui le viole ?
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Henri Temple - BP 13 La Poste 12230 La Cavalerie (France)